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Le "do", le chemin et la pédagogie


Do : le chemin et l’erreur

Le chemin et le bon mouvement

Je pratique souvent avec des débutants. Par ma propre expérience, je sais combien le chemin pour réaliser de bons mouvements est long et se mesure en années. Ils n’ont que quelques dizaines d'heures de pratique et Ils me demandent si le mouvement est bon. Que répondre ? Un jour, par bonheur, je me suis souvenu que le Kinomichi est un cheminement : « michi » ou « do » . La réponse au débutant devient : « tu viens de commencer à gravir une montagne, tu vois le village s’éloigner, ton regard est juste au-dessus des arbres ; le paysage change ; ta respiration prend du volume ; ton esprit est sorti du quotidien et il est entré dans la marche ; tu n’as marché que quelques centaines de mètres et tu vis déjà un grand bonheur ». C’était ma première étape pour comprendre l’importance des « do » ou « michi », l’importance de pratiquer un cheminement.  Do et michi

« Do » signifie voie en japonais. Un certain nombre d’arts martiaux et autres arts ont d« do » ans leur nom (judo, aïkido, kyudo (le tir à l’arc), kodo (le chemin des parfums) et d’autres). Le « michi » de kinomichi en est une autre expression du chemin, de la voie. A l’origine, c’est un concept qui vient du Zen, de la spiritualité bouddhiste. Il peut y avoir confusion entre la voie et le Zen : « presque tous les grands maîtres Zen disent Do et non Zen »[1]. Il est possible que certains professeurs de Kinomichi incluent la spiritualité dans leur enseignement. Ici, je me contenterai de penser le « do » sans inclure la spiritualité et je rechercherai les enrichissements de cette perspective. Dans le kinomichi, y-a-t-il des aspects qui ne peuvent pas être formulés comme des objectifs explicites d’apprentissage ?

La voie, ni le départ, ni l’arrivée

Si l’on parle du chemin, de la voie, c’est bien, que le parcours devient plus important que la destination ; le temps de la promenade est plus important que d’arriver à destination. Parfois, on fait des détours, on peut s’arrêter pour un pique-nique, on s’arrête parce que la vue est extraordinaire, parce que l’on a rencontré des amis, parce que l’on est fatigué, parce que l’on a déjà ressenti beaucoup d’émotions, etc. On peut même oublier où l’on va ?

Deux parmi les chefs d’œuvres de Hiroshige (maitre de l’estampe japonais) sont des récits de voyage :  « Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō » et « Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō ». Chaque estampe est un moment à savourer. A regarder ces séries, il n’y a aucun sens à se précipiter vers la dernière ; profitons de chacune, vivons chacune d’entre elle. Le moment présent prend toute son importance ; il n’est plus impérativement lié à un but. Dans la série du Tokaido, la première estampe représente une troupe hétéroclite sur un pont qui va voyager ; le pont indique bien qu’il s’agit d’un passage, d’une étape ; la ville du départ est indiquée par quelques toits, c’est à peine si elle existe. L’estampe de l’arrivé montre de nouveau un pont et quelques voyageurs, la destination n’est que représentée que par une masse confuse de toits. Le départ et l’arrivée sont loin d’être l’essence de la série, le parcours et les étapes sont bien plus importants. Certaines étapes ou estampe ont été refaites jusqu’à neuf fois par le maitre Hiroshige. Combien de fois devons-nous répéter les étapes du kinomichi ?

Vivre l’instant présent

Dans un conte Zen[2], un samouraï vient voir un maitre du sabre et lui demande de le prendre comme disciple. Il veut apprendre l’art du sabre. Il demande combien de temps durera l’apprentissage. Le maitre répond « dix ans ». Le jeune dit « mais, c’est trop long, cela ne peut pas aller plus vite ». Le maitre conclut « alors dans ce cas cela prendra 20 ans ». Que peut-on comprendre ? L’intérêt principale est bien la pratique quotidienne ; vivre le présent. Bien sûr, il s’agit d’un conte Zen qui vient souligner l’importance de vivre « ici et maintenant ». L’élève qui regarde trop la destination détourne son attention du moment présent. Il ne fait que rallonger son chemin.

Vivre l’instant présent c’est apprendre

Si le pratiquant a de grands objectifs, comme dominer telles techniques, apprendre à se défendre ou devenir ceinture noire, alors l’attention quitte l’instant présent. Il s’agit d’atteindre des objectifs lointains. Si le pratiquant se perçoit comme apprenant une technique, une série de techniques, il se retrouve face à des séries de micros objectifs. La plupart ne seront pas atteints ni à la fin d’un cours, ni dans le court terme. Soumis à des objectifs, il se retrouve souvent en situation d’échec pas toujours facile à gérer. Si au contraire, l’attention est portée sur l’expérience du présent, la notion d’échec s’évanouit.

Nous savons tous qu’il faut attendre de nombreuses années pour faire de bons mouvements ; Maitre Noro nous rappelait souvent que nos mouvements étaient perfectibles. En nous concentrant sur chaque cours, la voie, le parcours se vit, et la porte s’ouvre pour une évolution parfois bien surprenante.

Voir l’évolution

En cheminant, on se réjouit de chaque pas qui est un événement en soi. L’important n’est plus d’arriver, c’est de marcher. Chaque pas est en soi une découverte, un apprentissage, peut-être même une réussite. Vivant dans le temps présent, les débutants perçoivent peu leur progrès, ils vivent souvent la frustration de ne pas savoir faire grand-chose ; ils voudraient pouvoir faire aussi bien que les plus anciens. En regardant en arrière, on peut voir le chemin parcouru. Quand arrivent des nouveaux qui viennent découvrir le kinomichi, ces anciens débutants comprennent alors le chemin qu’ils ont déjà parcouru ; ils veulent tout expliquer, enseigner à ces plus jeunes dans la pratique.

Nous n’avons pas tous la même voie

Bizarrement, on se souvient que tous les chemins mènent à Rome ! Hiroshige réalise deux séries pour aller de Edo (nom historique de Tokyo) à Kyoto. Doit-on tous cheminer par les mêmes routes et au même rythme. Certains ont besoin de prendre des détours, d’autres sont impatients, d’autres encore peuvent prendre des raccourcis ardus. Il est bon de prendre conscience de cette réalité au détour de nos pensées sur le « do ».

Avoir des compagnons de voyage

Si l’on considère la pratique et l’apprentissage comme un parcours la perspective de l’expérience prend un nouveau sens.  Quand le moment présent est primordial, les frustrations en relation aux buts se font oublier. Un cours est-il encore une succession d’objectifs ou une étape à vivre, une expérience à savourer ? Y a-t-il réellement encore des erreurs ? Le rôle du professeur change. Regardons l’apprentissage de chacun et ses idiosyncrasies comme sa façon d’aller à Edo. Le professeur devient un compagnon de voyage, un guide.

Sans objectif où est l’essentiel ?

Ce que l’on fait pendant l’apprentissage devient aussi important que ce que l’on a appris : les exercices, les détours. L’état d’esprit, la disponibilité du corps sont probablement plus importants que la forme de la technique finalement apprise. Dans notre cas cela fait probablement référence à tous les détails qui sont si essentiels au kinomichi sans lesquels il n’est plus rien[3]. Dans un premier temps, je n’avais prêté attention à ce noble oxymoron. Par définition un détail n’est pas essentiel[4]. L’essence de la pratique n’était peut-être pas là où l’on l’imagine ? qu’est-ce que l’essence du kinomichi ? Ce n’est certainement pas le dernier mystère de maitre Noro.

Quelles paroles pour le « michi »

Les paroles du professeur ne sont pas seulement descriptives et fonctionnelles, elles donnent un sens à l’expérience de l’élève. Dans la perspective du do, les mots doivent illustrer ici que la pratique est une voie. Surtout, le professeur ne doit pas parler d’objectif mais il insiste sur le moment présent et l’expérience vécue ainsi que l’évolution lente de l’élève. L’élève trop souvent habitué à penser en termes de destination, l’enseignant dans ses paroles devra autant que possible sortir de cette dialectique pour entrer dans celle du cheminent. L’élève va demander si son mouvement est bien ; la réponse devrait centrer sur l’évolution de l’élève, par exemple : « qu’as-tu senti de nouveaux ? qu’as-tu découvert ? Où veux-tu aller maintenant ? ». La réponse doit fuir la référence à un mouvement idéal. Cela demande une gymnastique intellectuelle spéciale de la part du professeur qui répond généralement en fonction d’un objectif.

Se souvenir que le kinomichi est un cheminent avec deux apports importants. 1° se dégager du stress de l’objectif, c’est une façon de vivre la pratique dans un esprit de jeu et de l’instant présent. En cela, c’est rapprochement des notions de « sourire » et de « sexy » 2° c’est également se rappeler que le kinomichi ne se résume pas à une forme mais que de nombreux détails sont essentiels à sa réalisation.


[1] Taisen Deshimaru, « Zen et arts martiaux », page 64, livre de poche Albin Michel.

[2] (Deshimaru : Zen et Arts Martiaux)

[3] Un jour maitre Noro avait utiliser l’expression « détail essentiel ».

[4] Définition glaner sur internet : « Petit élément constitutif d'un ensemble, et qui peut être jugé comme secondaire : Ne pas négliger les détails. »

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