Opportunité d’apprentissage avec un partenaire
Y a un partenaire ! nouveauté : touché, échange proprioceptif, échange verbale
Le professeur n’enseigne pas seulement à des individus ! Le kinomichi se pratique à deux. Un mouvement est le fruit de l’interaction des partenaires. Évidemment, les individus ont des choses à apprendre mais c’est à deux que les mouvements se font. Premièrement la relation entre partenaires est sujet à amélioration et constitue une préoccupation de l’enseignant. Deuxièmement, le contact physique avec le partenaire fournit des informations du toucher et proprioceptives en plus des informations orales (le professeur parle) et visuelles (le professeur montre) – libre à chacun peut les utiliser. Troisièmement, le débutant n’apprend plus seulement avec les informations qui viennent du professeur mais grâce aussi au dialogue explicite avec son partenaire ; le partenaire parle et peut corriger. La scène pédagogique s’enrichit.
Prendre conscience de la relation pour l’améliorer
Statut du partenaire
Je tiens à rappeler les différents statuts que peux avoir le partenaire. 1° émetteurs-récepteurs de sensations ; comme les partenaires se touchent de façon énergétique, ils échangent des sensations. Qu’est-ce que chaque partenaire ressent ? 2° le partenaire est d’abord un objet qui se déplace autour de soi, plus ou moins activement. 3° ensuite on peut commencer à le percevoir, dans sa forme ou posture et dans son tonus. 4° Enfin on peut se questionner à partir du partenaire dans l’intention d’apprendre. Autant d’aspects que l’enseignant peut rappeler à la mémoire des pratiquants.
Triade pratiquant, partenaire, professeur
Avec un partenaire, le couple professeur-élève devient une triade professeur-partenaire-partenaire. On y apprend non seulement une technique, mais on y vit aussi une relation. Le professeur y enseigne également à développer la relation entre partenaires. Le dialogue professeur-élève est transformé. Apprendre à s’écouter, apprendre la collaboration, la relation constructive. Ce n’est pas un partenaire qui domine en obligeant l’autre à suivre une trajectoire.
Bon partenaire ?
Apprendre à être bon partenaire ? le tonus juste ? ni freiner ni pousser ? ni bloquer, ni faire le mouvement à la place du partenaire ? Aller ni trop vite, ni trop lentement ? Savoir s’adapter aux différences morphologiques : grand/petit, mou/raide ? ni laisser tout faire, ni tout corriger ? Se respecter, respectant le partenaire et vice-versa. Le professeur peut accompagner toutes ces dimensions de la relation. Il faudrait comprendre réellement ce qu’est un « bon partenaire » pour l’enseigner. Ici, je n’ai que posé les premières questions autour de la problématique du bon partenaire : un début !
Le professeur propose un cadre pédagogique, il propose une direction pour faire l’expérience du kinomichi. Chaque cadre d’expérience propose un jeu spécifique entre partenaires. Les qualités requises pour être un bon partenaire varient d'une situation à l'autre. Sans compter oublier que l’on n’est pas forcément bon partenaire avec tous les partenaires ; il y a des mystères psychologiques.
L’apprentissage par le toucher et la proprioception
Le contact comme lieu d’information et d’évaluation
En tant que professeur, il est intéressant de pratiquer avec les élèves, surtout recevoir leurs mouvements. Le professeur substitue une analyse extérieure, superficielle et géométrique à une analyse sensorielle. C’est un de mes modes d’interaction préférés : utiliser mes sensations pour comprendre l’action de l’élève. Ainsi je perçois si le mouvement est rond, coulant en le recevant. Je perçois s’il y a des ruptures de direction, des ruptures intempestives de rythme ; je perçois le tonus. En général le confort dans le mouvement reçu mesure la qualité du mouvement et autan que quelques principes géométriques. Contrairement aux débutants qui n’ont pas l’habitude de recevoir les mouvements, le pratiquant d’expérience dont je suis un représentant perçoit la qualité des mouvements. C’est comme pour les vins, celui qui a gouté beaucoup de vins peut expliquer pourquoi il aime ou n’aime pas certains d’entre eux. Après avoir reçu et décortiqué, je peux tenter de faire sentir au pratiquant la différence entre deux façons de réaliser un mouvement. Je lui fais le mouvement de différentes manières pour créer chez lui un lien entre une façon de faire le mouvement et des sensations. J’espère ainsi que l’élève modifiera sa façon de faire non pas pour m’imiter mais parce qu’il aura compris quelque chose grâce ses sensations.
Le professeur avec son regard qui est son principal outil d’évaluation, évalue difficilement au-delà de la géométrie des mouvements. Perçoit-il la qualité interne du mouvement des partenaires ? Certains peuvent y arriver. En contact avec un partenaire, les données suivantes s’échangent : la tension musculaire, la direction de l’énergie, l’organisation du corps, ce que les neurones miroir ressentent ; l’éventail des informations échangées s’est considérablement élargit et englobe de nombreuses informations invisibles. Les manipulations physiques entre partenaires sont des lieux de perceptions, et deviennent des lieux d’information.
La pédagogie profite d’une information plus riche et diversifiée sur la pratique. Il est possible d’en modifier les moyens et les objectifs. Une nouvelle pédagogie basée sur les sensations corporelles est possible ; elle se détache de la forme et des apparences.
Création de l’observation de la qualité du mouvement
La conscience de la qualité du mouvement débute avec les sensations corporelles échangées, avec le désir de les utiliser ; progressivement les sensations deviennent un instrument de conscience[1]. La conscience des sensations corporelles n’est pas une évidence ; elle est généralement le fruit d’un effort volontaire. Ici le professeur joue un rôle moteur.
Par exemple, avec l’habitude, on saisit le moment où on dépasse un niveau de confort dans le tonus du partenaire. On peut tout d’abord communiquer sa conscience de l’inconfort, ce qui permettra selon les circonstances d’aller vers le bien-être. On peut remercier pour un mouvement agréable, ce qui revient à valoriser un acte positif.
Conscience de la qualité pour évoluer
La conscience est souvent le pas premier vers l’apprentissage. Faut-il attendre de voir une grimace chez son partenaire, pour imaginer faire un mouvement désagréable ou peut-on le percevoir avant ? L’apprentissage ne se fait plus seulement par les mots émis par l’enseignant, ni par l’exemple qu’il montre. Les sensations reçues en pratiquant avec le partenaire sont des sources d’informations qui aident à faire évoluer les mouvements : décalage de mon mouvement par rapport au partenaire, la justesse des directions relatives des deux partenaires. Si le mouvement ne va pas dans la direction du bien-être, le partenaire le ressent dans son corps.
La première étape est de prendre conscience de ses sensations. L’enseignant souligne leur existence, notamment lors d’exercices, simples ou préparatoires sans dévier pas l’attention sur d’autres défis dont par exemple la coordination. Ensuite, il reste à savoir comment utiliser ces perceptions pour progresser. Les sensations reçues dialoguent avec les autres intentions du kinomichi : spirales, unité du corps, souplesse, sourire… les sensations reçues sont-elles compatibles avec les 5s ? Par exemple, il faut apprendre à faire le lien entre les sensations et la construction de la spirale chez soi et chez le partenaire.
L’apprentissage par le partenaire
Flux d’information élargit par la présence du partenaire
Dans une pratique sans partenaire, en dehors des remarques venant du professeur, il y a peu de possibilité d’évoluer parce qu’il n’y a que l’autocorrection et qu’elle est difficile. A deux, avec un contact, d’autres opportunités d’évolutions s’offrent. Aussi, le contact entre partenaires est quasi continu, donc il y a échange d’information important qui ne se limite pas à quelques coups d’œil du professeur. Les processus d’apprentissage ont un éventail d’opportunités plus grand que dans la relation traditionnelle professeur-élève.
Si le partenaire reçoit le mouvement d’une façon inattendue, on peut bien sûr se dire qu’il ne sait pas le recevoir[2]. C’est un peu facile ! Ou alors, on peut questionner la façon dont le mouvement a été guidé. Le partenaire a-t-il été amené dans de mauvaises directions ? Cela provoque non seulement une interrogation chez celui qui reçoit le mouvement mais aussi chez celui qui l’a fait. Le partenaire est une source d’information sur soi-même.
Le partenaire modifie le paradigme pédagogique : dépasser la dialectique modèle-correction
Dans les pratiques sans partenaires, il y a un professeur qui enseigne et qui corrige. C’est très facile d’entrer dans un cycle du type : modèle (le professeur), copie, correction, frustration. Est-il indispensable d’essayer ce type de cycle ? Qu’est-ce que signifie l’introduction du partenaire ?
Les partenaires entre eux peuvent développer un type de relation alternative à la relation professeur-élève. Les partenaires sont bien plus égaux que professeurs et élèves et peuvent être amis sans obligation ni d’apprendre ni d’enseigner. La relation tend vers plus de neutralité, construite en dehors de l’axe « modèle-correction » dont le piège favori est la frustration.
Nouvelles opportunités pédagogiques
Sans professeur, le confort de la relation devient paradoxalement un lieu de jeu et d’apprentissage. Si personne n’est professeur dans la relation, personne ne sera élève. Plus que jamais, en l’absence de professeur, la notion de sanction est absente et cela ouvre la porte au jeu, c’est-à-dire à l’expérience sans sanction (voir Le jeu et les rythmes de l’apprentissage page 32). Avec le temps chacun peut prendre alternativement chaque rôle de professeur ou d’élève, de partenaire et d’ami. Quand ces rôles ne sont pas formellement déterminés, il y a une plus grande flexibilité ; sans compromis, on peut jouer et expérimenter. Comme le suggère Catherine Bazin (instructeur de Kinomichi) d’autres rôles sont possibles : expérimentateurs, testeurs ; de nombreuses opportunités s’ouvrent avec le dialogue entre partenaires. Au lieu d’apprendre, on cherche, expérimente. Quand on expérimente, il est normal de se tromper de répéter ; le scénario est plus libre que le scénario traditionnel de l’enseignement. On pardonne, on accepte, on supporte tout plus facilement. Le dialogue corporel est plus libre que le dialogue verbal. Cela crée un espace naturel pour jouer, un espace comparable à l’espace ludique de l’enfance : « on dirait que tu es … ». Ce paradigme s’éloigne du paradigme scolaire, bien lourd pour certains d’entre nous. Chacun peut inventer et trouver son partenaire suffisamment bon. Cela resemble à l’apprentissage de l’enfant décrit par Moshe Feldenkrais, une série d’expérience et de jeu sans but.
L’importance de changer de partenaire
En restant avec le même partenaire, on prend des habitudes bonnes ou mauvaises. Changer de partenaire permet d’éviter ce piège. Cela permet de vérifier une certaine universalité de la pratique, de vérifier que la pratique ne dépend pas d’un partenaire qui serait trop complaisant (consciemment ou non). Changer de partenaire, oblige à se remettre en question.
Le partenaire une relation continue et ludique
Avec le partenaire, la relation est différente de celle avec le professeur et constitue un lieu d’apprentissage. Cette relation est beaucoup plus continue que la relation avec le professeur et parce qu’elle est informelle, elle se prête naturellement à des alternatives ludiques d’apprentissage. Que se passe-t-il quand le modèle pédagogique sort du duo professeur-élève pour entrer dans le modèle qui inclut le professeur et deux partenaires ? Premièrement, le professeur peut décider de prendre en compte les interactions entre partenaires : quelles opportunités, quelles conséquences ? Les partenaires peuvent aussi eux-mêmes profiter de la situation. Deuxièmement, par le contact les partenaires échangent de l’information qui n’est pas forcément disponibles au professeur et qui pourraient entrer dans un processus d’apprentissage. Avec le partenaire, le contexte psychologique a changé, le cadre sensoriel a changé.
Le rôle de l’enseignant
L’enseignant n’est plus le seul pôle de transmission
Premièrement, l’enseignant doit prendre conscience de l’importance des partenaires dans le processus pédagogique.
Aider à la prise de conscience des rôles du partenaire
Maitre Noro disait souvent « comment va votre partenaire ». Il s’adressait souvent au « partenaire », pour savoir comment il allait. Cela devait être une façon de faire comprendre à celui qui guidait que son mouvement posait problème, qu’il y avait quelque chose à corriger. L’information n’allait pas directement sur celui qui faisait le mouvement ; elle avait besoin de passer par le partenaire ; c’est l’attitude du partenaire qui était devenue un signe de la qualité de ce que faisait celui qui guidait. L’enseignant, dans ces remarques peut porter l’attention sur la relation entre partenaire. Il peut demander au partenaire de décrire : la relation entre partenaires, ce qui se passe, ce qu’ils ressentent.
Souvent des élèves me demande « est-ce que mon mouvement est bon ? ». J’aime répondre « demandes à ton partenaire ». C’est une façon de modifier l’attention, de recadrer le sujet, d’initier le dialogue entre partenaires, de diminuer l’importance de la géométrie des mouvements au profit de la relation entre partenaires.
Avant de faire des exercices, l’enseignant porte l’attention sur la relation, et dire que les autres dimensions essentielles du kinomichi peuvent être « provisoirement occultées ». Encore une fois, c’est pour ça que l’exercice contact est si utile – par sa simplicité apparente, il est une opportunité de se concentrer sur la relation.
Être conscient de la gestion de la concentration des pratiquants : savoir quand on fait de la technique et quand on fait du sensible… Les deux en même temps c’est impossible
Encadrer les fonctions pédagogiques possibles « partenaire »
Si le professeur voit que deux partenaires jouent à explorer une situation et à essayer des choses, sous réserves que ce jeu va dans l’esprit général du cours, il peut en profiter et laisser faire. C’est une expérience riche et avec un fort potentiel d’apprentissage, parce que les deux partenaires sont volontaires, de bonne humeur et que probablement ce jeu correspond à leur limite de savoir-faire kinomichien. C’est un contexte particulier, où il n’est pas opportun de changer de partenaire ; cela casserait une dynamique positive.
Si l’ennui apparaît dans la pratique, il se peut qu’une certaine routine entre partenaires se soit construite. Dans ce cas il est utile de changer de partenaires. Il peut y avoir des incompatibilités d’humeur. Si elles ne peuvent pas être transformées positivement il vaut mieux changer de partenaire. Avec un partenaire, on peut créer des automatismes et des complicités trompeuses ; de nouveaux partenaires peuvent susciter de nouveau défi ; c’est un nouveau motif pour changer de partenaire.
Entre le partenaire trop difficile qui fruste et qui freine l’évolution, et le partenaire trop facile qui empêche également l’évolution, il y a un large éventail dont l’enseignant doit prendre compte. Selon Winnicott, psychanalyste anglais, une mère suffisamment[3] bonne pose des défis à son enfant ni trop (castratrice !, j’imagine), ni pas assez (trop protective) et ce faisant l’accompagne et le stimule l’enfant dans son développement. Toutes ces idées que les enseignants connaissent déjà bien, sont différentes perspectives qui aident à penser le bon moment pour changer de partenaire.
En résumé
Évidemment c’est avec un partenaire que les défis de la relation sont relevés. C’est un des charmes du kinomichi : être en relation, ne pas faire une pratique seule.
C’est un lieu d’échange d’informations ni verbales, ni visuelles ; l’apprentissage prend une direction informelle et s’enrichit des informations du toucher.
En changeant de partenaire on vérifie que notre pratique est réellement adaptable et ne dépend pas d’un contexte trop restreint.
[1] Je rappellerai que les sensations corporelles sont généralement non conscientes. Par exemple je suis assis sur une chaise et presque tout le temps je n’ai pas la conscience de mon poids qui s’appuie à travers mes fesses sur ma chaise. De même, quand mes mains sont posées sur la table, je n’ai pas la conscience que mes mains touchent la table ; sauf si la table était brulante ou glacée. En général, il est possible de prendre conscience de ce type de sensations. Donc, il faut un effort particulier pour être sûr de garder à la conscience les sensations relatives au contact avec le partenaire (tension, étirement, rotation, spirale), et il faut relier ces sensations avec l’échange corporelles avec le partenaire.
[2] On peut se souvenir de l’idée générale, qu’un débutant arrivera à bien faire un mouvement avec un partenaire généreusement collaboratif, un pratiquant « moyen » avec un partenaire moyennement collaboratif, et qu'un pratiquant avancé se débrouillera même avec un partenaire peu collaboratif. Evidemment avec quelqu’un qui bloque c’est impossible, dans l’esprit du kinomichi.
[3] Il savait que les parents sont par définitions imparfaits ! J’invite chacun à lire Winnicott pour approfondir ces notions ainsi que celle du jeu.
Comments